Maria-Francesca, une âme voyageuse…

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Maria-Francesca est une habituée des AlterMilongas, elle a le goût du voyage et ses milongas en sont le reflet… Maria-Francesca, pourquoi être DJ ? Pourquoi le tango argentin ? Quelle motivation ? Quel parcours ? « Le tango, on en entend beaucoup en ce moment ; dans les publicités, dans les films, dans les musiques d’ambiance… Mais pour moi, ce choix n’a rien à voir avec un effet de mode. C’est le résultat d’une lente gestation que j’essaie de comprendre.

Pourquoi la musique ?
Ça vient de loin : mon enfance, les après-midi chez mes grands-parents paternels. Mon grand-père joue du piano. Il accompagne souvent ma grand-mère qui chante des airs d’opéra. Lui, Berto, mécanicien d’origine italienne, elle, Leandra, ménagère d’origine catalane. Ce qui les réunit c’est la musique. Tous deux sont autodidactes dans ce domaine. Et moi, enfant, j’aime les écouter.

Pourquoi la danse ?
Ça vient de loin là aussi. Je me souviens d’une petite fille avec des chaussons de danse en satin noir et un tutu rouge, craintive, toute petite, que l’on pousse sur les planches de la salle des fêtes du village. J’avais 4 ans, peut-être 5. Quelques pas sur les pointes, quelques pas hésitants et les bras en l’air, en couronne au-dessus de la tête. Toute seule, perdue sur la scène avec les larmes aux yeux.

« …mes musiques préférées, celles qui vous attrapent par le cœur, vous décollent de votre chaise et vous entraînent irrésistiblement sur la piste « 

Pourquoi le tango argentin ?
Toute jeune, j’ai été bercée par une sorte de légende familiale avec l’Argentine en guise d’Eldorado. J’entendais raconter le destin d’une femme, mon arrière-grand-mère (côté maternel cette fois) partie faire fortune en Argentine. Son mari vient de décéder et elle se retrouve seule avec trois garçons à nourrir. Sans argent et ne pouvant compter que sur elle-même, elle prend le bateau avec ses enfants et part vivre de l’autre côté de l’Océan. Là-bas elle ouvre une boulangerie. Plus tard, bien plus tard, elle reviendra, fière d’avoir pu élever correctement ses garçons.

Ma première rencontre avec le tango argentin ?
Un vieux disque vinyle, trouvé je ne sais où. C’est une musique de film : « Il pleut sur Santiago », par Astor Piazzolla. J’ai 14-15 ans, et je l’écoute en boucle dans ma chambre tellement ça me plait.

Ma deuxième rencontre ?
10 ans plus tard, toujours Piazzolla, à la radio cette fois, « Histoire du Tango », magnifique morceau pour flûte et guitare. Trop beau ! Ça me donne la chair de poule !

Ma troisième rencontre ?
Ce n’est pas Piazzolla cette fois. C’est « Tango to Evora », un tango grec interprété par une irlandaise. C’est un tango qui a voyagé, comme mon arrière-grand-mère, et comme toute ma famille, avec ses origines diverses, essentiellement latines et méditerranéennes et des allers-retours d’une culture à une autre…Immédiatement, quelque chose me parle…
Sur cette musique, ils dansent, un homme et une femme enlacés, pieds nus sur la prairie, une harmonie parfaite de chaque geste. Je m’informe : sont-ils partenaires de danse depuis des années pour arriver à une telle symbiose ? Non, ils dansent ensemble pour la 1ère fois, il vient d’une île de l’océan indien, elle vient de Nice, leur seul point commun est leur passion pour le tango argentin. La maîtrise de cette danse les conduit à une connexion immédiate et parfaite. Non, il ne s’agit pas d’une chorégraphie. Ils improvisent chaque mouvement ensemble sur le rythme.
Je suis impressionnée par une telle magie. Quelque chose s’impose à moi ; il faut que je découvre le secret, il faut absolument que j’apprenne à faire ça.

Mes débuts avec le tango ?
Commence pour moi le long chemin de l’apprentissage. D’abord à Barcelone, puis un peu partout en France et en Europe, dans chaque ville où je me trouve, je danse 3 à 4 fois par semaine, et à certaines périodes tous les jours. Je participe à des soirées de danse, des cours, des stages, des festivals…Le tango commence à m’habiter. Le tango devient un voyage, d’une ville à l’autre, d’une soirée à une autre, d’un style à un autre, d’un couple de maestros à un autre, d’un orchestre à un autre, d’un compositeur à un autre.

Quels styles de tango je préfère ?
Le ressenti des différents styles de tango, je l’ai d’abord eu dans les pieds, en tant que danseuse. Que me dit cette musique ? Comment interpréter ce que je ressens ? En tant que danseuse, il y a 2 guidages pour moi : la musique et le danseur. Je dessine l’histoire que la musique me raconte et je dessine ce que me communique le danseur, en fonction de sa personnalité, de son imagination, et de sa technique.
Peu à peu, c’est par les pieds que j’ai découvert tous les visages du tangos et leurs reliefs spécifiques : les piqués, les mélodiques, les lyriques, les dramatiques… depuis les vieux tangos qui craquent (ou pas) jusqu’aux tangos électro, en passant par toutes les époques.

Comment j’ai débuté comme DJ ?
J’avais envie de retrouver tel ou tel morceau que j’avais aimé danser, de l’avoir à moi dans ma bibliothèque tango, et de pouvoir l’écouter et le danser autant de fois que j’en aurais envie. Ainsi, peu à peu, j’ai eu en boite tous mes coups de cœur et tous les « tubes » du tango argentin, et je complétais au fur et à mesure avec les nouveaux titres que je découvrais dans les festivals, les bals, ou à la radio, ou en faisant des échanges avec d’autres aficionados.
Vers 2003-2004, j’ai commencé à animer des soirées tango, ce qui me permettait de partager mes musiques préférées, celles qui vous attrapent par le cœur, vous décollent de votre chaise et vous entraînent irrésistiblement sur la piste.

Quelle technique de diffusion ?
Au début j’utilisais des CD, classés dans 2 valises, et un double lecteur CD, relié à une table de mixage et un ampli. Pendant qu’un CD se lisait sur la 1ère voie, j’avais le temps de changer le CD de la 2ème voie. Déjà à cette époque, pendant les soirées, je projetais des images de tango à l’aide d’un vidéo projecteur relié à un lecteur DVD, ce qui me permettait de soigner l’ambiance aussi bien visuellement que par le choix musical. En 2008-2009, j’ai commencé à créer des playlists, qui, peu à peu, ont remplacé les CD.

Comment je conçois une soirée ?
Toujours cette idée de voyage. Un voyage « Ida y vuelta », aller-retour entre l’Europe et l’Argentine, comme mon arrière-grand-mère, comme Carlos Gardel, et comme le tango en lui-même avec les diverses influences culturelles liées à son histoire. Je souhaite offrir aux danseurs un voyage du tango traditionnel au tango nuevo, un circuit non chronologique parcourant styles et époques.La trame de ma soirée est tissée de tous ces courants, compositeurs, orchestres, puis façonnée, ajustée pour tels danseurs pour telle occasion, confectionnée sur mesure pour chaque milonga.
Pendant la soirée, je passe d’un fil à l’autre en observant la piste, les réactions des danseurs, j’évalue s’il faut calmer l’ambiance ou créer du dynamisme, s’il faut donner de la légèreté ou aller dans l’émotion, s’il faut des rythmes classiques ou plus contemporains…et je me laisse guider par l’instant jusqu’au bout de la nuit.

Maria-Francesca – mars 2015